Matthieu Martin – Winter Palace

Du 05 septembre au 17 octobre 2015

Vernissage le samedi 05 septembre

 

Pour sa seconde exposition personnelle à la Galerie ALB, Matthieu Martin présente le projet Winter Palace, qui a pour point de départ la série de dessins « Principe de précaution », une série de dessins issus d’un long travail de repérage photographique, au sein des espaces intérieurs des galeries, musées et autres institutions. Cette série qui documente les dispositifs de mise à distance contraignant la libre circulation du spectateur et de son expérience au sein des institutions. Sont réunis 3 dessins grand format, d’espaces classiques, Palais de l’Ermitage à St Petersburg, Alte National Galerie à Berlin en contraste avec le centre Pompidou à Paris. Ainsi réunis, ces palais et nouveaux palais de la Culture aux espaces complexes faits de colonnades et corniches pour les uns, de câbles et poutres métalliques pour les autres deviennent le point de départ d’une nouvelle expérience graphique de dessins de perspective rythmés par une nouvelle série de sculptures accompagnant cet ensemble.

Nous vous présentons l’œuvre de Matthieu Martin à travers un échange, réalisé pour l’exposition à la galerie, entre Raphaël Brunel – Historien de l’art, critique, curator, journaliste et l’artiste Matthieu Martin.

Tu présentes à la galerie ALB trois dessins grand format dont les différents fragments composent un point de vue sur les architectures intérieures de musées célèbres. Presque dans le même temps à partir du 15 octobre 2015, 45 dessins de la série « Principe de précaution » prennent place dans l’exposition « Dimensions variables » au Pavillon de l’Arsenal en collaboration avec ta galerie. Pourrais-tu revenir sur la genèse de ce projet ?

« Principe de précaution » est une série de dessins réalisés au stylo et marqueur noir sur un papier au ton crème, dans laquelle je reproduis à l’identique, à partir de photographies prises sur place, des salles d’exposition de musées ou galeries. Seules les œuvres manquent. Cette absence devient révélatrice du dispositif de monstration les entourant et mettant à distance le spectateur tels les scotchs ou barrières de protections qui prennent dès lors une place démesurée et transforment l’équilibre de l’espace d’origine. Ce travail est né à la suite d’une longue période d’observation puis de collecte d’images au sein des musées et galeries parcourus depuis plusieurs années. Il pourrait être envisagé comme une forme d’inventaire de ces différents dispositifs. Un premier ensemble est composé d’environ 80 dessins au format 21 x 29,7 cm, dont 45 seront montrés au Pavillon de l’Arsenal. Ce sont des dessins à la ligne claire, très épurés. Ils sont réalisés quotidiennement (la plupart du temps la nuit) selon un protocole précis qui me demande beaucoup de concentration et me place dans un état proche de la méditation. Pour la galerie ALB, je viens de réaliser trois grands formats (de 220 x 250 cm environ) composés de plusieurs feuilles de papier espacées chacune de quelques millimètres (une contrainte technique liée au papier que j’ai désiré intégrer aux œuvres). Y sont représentés des lieux prestigieux comme le palais de l’Ermitage (Palais d’hiver ou Musée de l’Ermitage) à Saint-Pétersbourg qui donne son titre à l’exposition. Le raffinement et la richesse de détails de tels espaces étaient impossibles à traduire sur des petits formats et le fait de basculer cette approche vers une nouvelle échelle me paraissait intéressant car on se trouve ainsi confronté à un environnement dans lequel le regard peut circuler et se fragmenter.

Il est intéressant de voir à quel point ces œuvres découlent d’un ensemble de filtres liés aux conditions de la prise de vue, à la photographie elle-même puis à sa transposition graphique qui passe ici par un processus de réduction, quelques lignes suffisent à structurer l’image et à créer une certaine tension. Ces dessins ne sont pas sans évoquer des espaces mentaux ou ces palais de mémoire dans lesquels les orateurs de l’antiquité projetaient images et objets leur permettant de se souvenir de leur discours. Mais l’objet habituel de l’attention a ici disparu pour laisser pleinement s’exprimer un environnement, une certaine forme de cadre. Est-ce que ces questions de la trace et de l’effacement tiennent une place importante dans ton approche artistique?

Oui, la notion d’effacement est par exemple très présente dans le projet Cover Up qui a sans doute influencé cette série. Il s’agit d’un livre d’artiste qui documente le recouvrement des graffitis dans l’espace urbain par une surface de peinture. Ce qui m’intéresse, c’est l’effet révélateur que peut avoir un tel geste, la lecture que rendent possible ces absences. Le « repeins » nous amène à réfléchir au graffiti de la même manière que la disparition de l’œuvre dans mes dessins nous pousse à interroger son statut au sein des musées. Toutes ces lignes et barrières de protections participent en effet de notre expérience de l’œuvre et à mon sens la réduisent considérablement. C’est pour redéfinir ma relation à ces œuvres et prolonger mon expérience que cette série a débuté.

Ces différents dispositifs de mise à distance de l’œuvre d’art t’intéressent-ils avant tout d’un point de vue critique ou y décèles-tu un potentiel esthétique singulier?

Ces dessins ont été pensés pour répondre à ces dispositifs. Ils sont un point de départ pour déstructurer l’espace du musée et y insérer mon langage plastique. Il y a dans ce projet une volonté d’écrire et de composer avec l’architecture, de m’y projeter. Plus que la critique, c’est l’idée de résistance qui m’intéresse, de jeu avec l’institution. Trouver les musées les plus « protecteurs », faire le voyage, les visiter en déjouant l’attention des gardiens pour prendre les photos… Une atmosphère étrange règne au sein de certains musées, une tension s’en dégage et je ne souhaitais pas rester muet face à cela/et ce projet est une manière d’y réagir. L’institution doit être un lieu ouvert.

Tu t’intéresses particulièrement à la question de l’espace public. Cherches-tu à dresser un parallèle entre l’espace intérieur des musées et des problématiques plus larges liées à la ville et l’urbanisme?

Je m’inspire de ces deux types d’espaces en permanence. Ce projet n’aurait pas pu voir le jour sous cette forme si en parallèle je n’avais réalisé la série « Povera mobility » qui prend la forme de sculptures composées de blocs de pierres d’environ 750kg montés sur roulettes et rendus ainsi mobiles; montrés lors de ma première exposition personnelle à la galerie d’ailleurs. C’est la complexité de leur réalisation qui m’a poussé à venir à quelque chose de plus immédiat, que je puisse produire seul à l’atelier. Ces rochers sont en quelque sorte le pendant des dispositifs de protection d’œuvre dans l’espace public, puisqu’ils servent, placés au bord des routes ou des chemins, à délimiter des zones, à empêcher le stationnement ou le passage d’un véhicule. Les mêmes enjeux liés à une forme de restriction de l’espace se retrouvent ainsi à la fois dans le cadre urbain et muséal. Ça m’intéresse particulièrement de travailler cette « frontière » physique qui nous est imposée et qui soustrait le corps et le déplacement à une zone clairement délimitée.

Ce travail de lignes et de perspectives épurées, comme suspendues dans l’espace de la feuille, rappelle évidement Fred Sandback ou certains dessins d’artistes conceptuels comme Mel Bochner ou Stanley Brouwn. Relève-t-il uniquement d’un principe de relevé ou ce vocabulaire en cours de constitution peut-il donner lieu à une mise en volume?

Pour l’exposition à la galerie, j’ai imaginé une nouvelle série de sculptures ayant pour point de départ un modèle particulier de barrière de protection constitué de deux sortes de tube de diamètres différents qui rappellent les deux épaisseurs de trait que j’utilise systématiquement dans mes dessins. Les barrières ne sont pas répliquées mais déformées par le biais de légères interventions destinées à brouiller l’attention du visiteur. D’ailleurs, je souhaiterais avoir l’occasion de placer ces pièces au sein d’institutions pour observer la manière dont elles viennent en perturber la rigueur.

 

Matthieu Martin

Communiqué de Presse