23 mai – 19 juillet 2019
Vernissage le jeudi 23 mai
Exposition personnelle
Le banal réenchanté
Les peintures de Philippe Nuell sont hypnotiques.
Elles dépeignent un « American way of Life » parfois dérangeant mais nécessaire, voire bénéfique. Elles permettent de s’interroger sur un travail de mise en abîme. Yeah why not montre une famille de quatre personnes (deux adultes/parents et deux en- fants), tous corpulents plantés au premier plan d’un endroit qui pourrait être un parc d’attraction abandonné, désaffecté… un grand huit en arrière-plan. Des tipis d’Indiens américains plantés sur l’herbe détonnent. Le regard cherche un espace de confort, va et vient puis retombe sur cette famille. Tous grimaçant sous le soleil, leur short longs jusqu’aux genoux laissent transparaitre des jambes droites plongeant dans des baskets. Le père porte une caméra autour du cou. Bears esquisse un homme massif portant une chemise fleurie sur un short vert, une sacoche en bandoulière, et une femme corpulente, appareil photo autour du cou, un cabas à la main gauche et un sac en bandoulière sur son épaule droite, des tongs aux pieds. Ensemble, ils regardent un ours blanc empaillé, dressé devant eux. Ils sont entourés de vitrines avec des oiseaux eux aussi empaillés. Deux américains dans le Musée de la Chasse et de la Nature à Paris devant son célèbre ours blanc. Ces deux tableaux sont très représentatifs du travail de Philippe Nuell. Ils dépeignent des scènes de vie quotidiennes où transparait la volonté pour des personnages Middle class américaine d’accéder à une sorte de bonheur. Le tout joyeusement coloré. Le regardant se retrouve spontanément happé par ces toiles oscillant entre un sentiment d’adhésion et un sentiment de rejet face à ces personnages aux poses emphatiques, formant la symbolique à la fois du kitsch et d’un supposé mauvais goût. Nuell nous permet de dépasser ces premières sensations et nous transforme en témoins désireux d’aller plus avant, de comprendre, de plonger dans l’histoire et de laisser aller l’imaginaire devant ces personnages banaux.
Les œuvres de Philippe Nuell sont des films fixes. Pour décrire cet American way of life, le peintre – qui a vécu 20 ans aux États-Unis – aurait pu se prendre au jeu de l’hyperréalisme à l’image d’artistes comme Chuck Close, Ron Mueck, Denis Peterson et Latif Maulan, qui se sont inspirés des techniques du photoréalisme pour créer des œuvres (en peinture ou en sculpture), imitant à la perfection, et dépassant même des fois, la réalité. Nuell transcende cela en injectant de la bonhommie, de la bienveillance, de la douceur même. « Je ne porte aucun jugement sur les personnages, je m’amuse en tentant de faire le point sur la partie incongrue des scènes de vie ». La composition et la lumière des œuvres de Philippe Nuell ne sont pas sans rappeler les photographies de Martin Paar, de Jeff Wall ou encore les peintures de Grayson Perry, de David Hockney ou de Henri Taylor. Pour autant, la technique qu’il emploie est totalement contemporaine – bien ancrée dans le 21e siècle.
L’artiste sélectionne des images sur internet, les recadre, les détoure, en extrait les personnages pour les transposer dans d’autres décors. Des touristes devant le Mont Rochemore sont extraits de l’image initiale, pour se retrouver, dénudés, dans une piscine vide en portant chacun une bouée (Holidays). Nuell crée ainsi pour chacune de ses œuvres un scenario empreint d’éléments différents qu’il assemble pour façonner une nouvelle histoire. La peinture lui permet de « lisser » l’ensemble. Il utilise un jeu de couleurs vives proches de celles utilisées par les artistes du Popart. La texture des couleurs chère à l’artiste apporte à l’ensemble une force et une vigueur à chaque tableau. Si les points de départ de Nuell sont « la consommation de masse, le tourisme, la culture et par extension le tourisme de masse culturel », la corporéité est également omniprésente dans l’ensemble de son œuvre. Tant dans les attitudes (corps penchés, corps en train de courir, corps statiques…) que dans la monstration des chairs souvent flasques apparentes dans leur nudité ou à peine masquées par des vêtements. De façon conscientisée ou non par Nuell, le corps est ici pris comme un analyseur privilégié pour la mise en évidence de traits voire de faits sociaux. Une sorte de « miroir du social » dont parle l’anthropologue et sociologue David Le Breton.
Si le thème abordé dans les œuvres de Philippe Nuell peut traduire une désillusion voire un désenchantement du monde, par son regard bienveillant, sa technique picturale et l’instillation d’une bonhomie, Philippe Nuell arrive à réenchanter le théme du banal
Yves Mirande Critique, Art/Design Consultant