5 septembre – 19 octobre 2019
Vernissage le jeudi 5 septembre
Exposition personnelle
« Des oeuvres engagées aux messages politiques et poétiques pour contribuer à donner forme à des concepts. La littérature, les sciences, les mathématiques et l’art sont tout autant des références dans son monde réflexif »
Éric Sébastien Faure Lagorce, curator.
« Deux choses instruisent l’homme de toute sa nature : l’instinct et l’expérience. »
Pascal, Pensées, frag. 119
En philosophie, l’Empirisme postule que l’expérience est source première de connaissance. L’expérience caractérise la pratique de François Mangeol à de multiples niveaux, à commencer par celui de l’expérimentation. Inédites, les pièces exposées ont toutes été conçues pour l’exposition. Bien que l’œuvre en entier révèle une matrice esthétique et conceptuelle solide et cohérente, l’artiste ne rechigne guère à innover. L’expérimentation ne nourrit pas seulement sa pratique artistique mais témoigne d’une véritable philosophie de vie : penser, oser, avancer ; toujours ; pour exister. Fondées sur son parcours personnel, ses compositions jouent d’une stratification plastique, sémantique et cognitive profonde, universelle et singulière. Dans le lacis de ses multiples significations, l’œuvre se veut espace d’interaction entre l’artiste et son public ; propice à la pérégrination mentale et à la découverte. Comme l’affirme Umberto Eco, « plus élevée est l’information, plus il est difficile de la communiquer ; et plus le message se communique clairement, moins il informe » (L’œuvre ouverte, 1962). Si la réception de son travail est indirecte, ce dernier ne relève pourtant que d’une apparente abstraction. Alors que les déclinaisons formelles et modulaires de ses productions en appellent à De Stijl, Bauhaus ou encore Abstraction-Création, elles se défendent du seul ancrage européen. Elles tendent invariablement vers l’art minimal et conceptuel américain et, à plus forte raison, vers le paradoxe latent qui les unit : « La logique peut être utilisée pour camoufler l’intention réelle de l’artiste, pour amener le spectateur à croire qu’il comprend le travail ou pour déduire une situation paradoxale (telle que logique vs illogique) » Sol LeWitt incarnant sans doute la figure de proue (Paragraphs on Conceptual Art, 1967).
François Mangeol use du langage géométrique comme d’une formulation intelligible. Dans la lignée d’Auguste Herbin et, plus encore, de Guy de Cointet, celui-ci répond toutefois d’un alphabet de son invention, impliquant son déchiffrage potentiel au détour de jeux de mots et doubles-sens multiples comme autant de réflexions et recherches offertes au public. Dans l’écho des Wallpaintings de Tania Mouraud – qui modèle l’écriture jusqu’à la quasi-illisibilité –, son art « oscille dès lors continuellement entre le refus et la conservation du système linguistique traditionnel » (U. Eco, op, cit.). Considérant que l’ambiguïté fait partie de la communication, l’artiste en appelle à une autre compréhension du monde. Réunissant trois drapeaux brodés des transcriptions phonétiques des termes – a priori antinomiques – « JEDI », « DJIAD » et « GI », François Mangeol nous rappelle (non sans ironie) que tous réfèrent à la fonction de gardien de la paix. Et c’est parfois à une lettre que tout se joue ; à l’instar de la toile WHO KNOWS. Dans la grille qu’elles forment, les lettres se lisent de gauche à droite et laissent deviner un I, un E et un N. Le coin supérieur gauche est vide, laissant au spectateur le soin de choisir la lettre pouvant s’y inscrire (un M, un T, un S, un B, un L ou encore un R) et d’engager ainsi sa subjectivité dans l’élaboration du sens. Il en va de même pour la pièce intitulée Mémoires. Imparfaite, transformée et heurtée, la mémoire est inévitablement plurielle. Équivoque, elle relève de l’assimilation et de l’interprétation subjective de faits vécus. Littéralement et littérairement, les mémoires sont la retranscription de l’histoire par un individu, au travers de ses expériences et souvenirs d’une époque dont il est le témoin. Empirique, la pratique à laquelle l’artiste se – et nous – livre est éminemment humaniste, nous rappelant que la connaissance et la compréhension du monde nécessite de crever « notre entité imperméable » (J. Giono, Le poids du ciel, 1938), de dépasser notre inéluctable et primaire égocentrisme (en tant qu’ « absorption du moi dans les choses et dans les personnes avec indifférenciation du point de vue propre et des autres points de vue », J. Piaget, Le langage et la pensée chez l’enfant, 1948) pour mieux embrasser, ensemble, notre universelle et FMr condition.
Dans la réminiscence du Cogito ergo sum cartésien, François Mangeol nous interroge : Are you ? – That’s the fucking question. –.
Emilie Robert
Chercheur en Histoire de l’art contemporain, spécialiste en art conceptuel