09 mars – 13 avril 2019
Vernissage le samedi 09 mars
« Je t’entends hurler de loin »
Profondément investi dans l’expérimentation et la matérialité des différents médiums utilisés, cette nouvelle série de peintures de Timothée Talard présentée pour la première fois à la galerie ALB semble être le fruit d’une véritable autopoïèse artistique. Talard en est pourtant bien la genèse. Bien loin des premiers travaux figuratifs de ses débuts et, à l’instar de nombre de ses pairs qui ont pu se lasser de la seule technicité plastique d’un ultra réalisme, avec les années, sa pratique a évolué dans une distorsion continue de la représentation pour offrir au spectateur une création sinon minimale pour le moins abstraite et la possibilité d’une contemplation à l’imaginaire diligent.
De ces nouvelles peintures, l’artiste explique : « En utilisant activement la théorie des couleurs dans la composition des toiles, par exemple en appliquant des couleurs opposées les unes à coté des autres, les œuvres émettent un effet éclatant, les couleurs semblant flotter et vibrer sous les yeux. Cette technique de couleur sur couleur, aux tonalités et aux densités changeantes, désoriente le spectateur de la proximité ou de l’éloignement des œuvres. Ici, une tension bouillonne entre immobilité et mouvement de l’image – pas seulement les vibrations agitées entre les conditions conceptuelles appariées dialectiquement abstraction / représentation, autonomie / dépendance – mais aussi le mouvement d’une image qui, longtemps regardée, semble se transformer devant l’observation du spectateur. »
Les nuances de ses peintures vibrent dans un déluge chromatique aux références libres mais maitrisées. Les modulations étonnent le spectateur par une combinaison d’échelle, de textures riches et de couleurs profondes. Bien davantage qu’à des thématiques matériels, sociologiques ou politiques et, même évidemment esthétiques, leur inspiration semble se référer aux philosophies de l’onsiologie. Elles symbolisent pour qui veut bien se les approprier des réponses possibles à l’Être, l’essence et la substance. « [Mes] tableaux sont une surcharge d’énergie explosant sur les toiles. Elles impactent le spectateur de loin, tout en les attirant plus profondément pour un regard plus minutieux. Les tableaux semblent au départ être des dégradés traditionnels de peinture. En se rapprochant, le spectateur découvre qu’il s’agit en réalité d’une multitude de taches de couleurs mêlées, tel une plongée dans les pixels de l’image. Les œuvres sont comme des visualisations d’une expérience corporelle immersive concrétisée dans une sorte de minimalisme psychédélique. Elles évoquent une phénoménologie des sens grâce à son application méticuleuse de peinture au pistolet. »
À travers son travail, il négocie sa place dans le continuum des peintres, tout en nous invitant à (re)considérer notre vision de cet art en constante évolution. Des artistes comme Jackson Pollock et Mark Rothko, ainsi que des mouvements révo- lutionnaires tels que l’expressionnisme abstrait, l’optique, la peinture Colour Field, le Dripping ou d’autres invocations à l’abstraction gestuelle alimentent son travail : «[Ces nouvelles] œuvres empruntent à la fois au pointillisme et à l’expérience cinétique… » Ses compositions abstraites globales sont le reflet d’un artiste qui rend hommage à ses ancêtres, tout en inno- vant dans sa propre pratique.
Avec la série des lightbox également présentée dans son exposition « I hear you howling from afar » dans le second espace de la galerie, Timothée Talard renoue avec des sujets plus anciens dans ses aspirations. Ainsi en 2010, alors qu’il était encore étudiant de l’École Supérieure Nationale des Beaux-Arts de Paris, Agnès B l’avait déjà repéré à l’occasion d’un jury. Immédiatement, elle lui programmait une exposition personnelle dans son espace historique de la rue du Jour (« Sommet de l’évolution », 2010). Dans le même temps, l’immense créatrice de mode et collectionneuse éclairée commandait à Talard une série de portraits de mannequins qu’il réalisait en aquarelle, critique et éludant volontairement le seul érotisme des corps en représentation. Par cette série de lightbox et la symbolique des panneaux publicitaires, ce que Timothée Talard nous renvoie, n’est-ce pas cette propension chez chacun d’entre nous à être partagés entre des attirances liées aux dérives du consumérisme : le culte voué aux marques, les carcans sociaux, les enseignes clignotantes, le shopping libérateur, les codes vestimentaires, le besoin d’accumulation…, et une critique indispensable d’un système élaboré qui nous asservit en tant que citoyen, en tant qu’humain ? Les messages qu’il y tague sont poétiques, comme une remise en cause nécessaire des obligations conditionnées.
Didier Gourvennec Ogor – Février 2019