Du 10 janvier au 21 février 2015
Vernissage le samedi 10 janvier
« Nous n’avons pas, en art, besoin d’une herméneutique, mais d’un éveil des sens. »
Susan Sontag
D’abord cette tentation sensuelle de rendre l’impossible, de penser le commencement et les conditions d’un acte qui donnera sens: tout part et commence du fond rouge, de l’instant inaugural où la lumière vient frapper encore une fois les paupières. Partir au hasard, partir en destination précise. Sans paradoxe: l’apparition toujours concomitante, contaminante, coïncidente: révélations attendues, digressions imprévues. Tout se joue d’une manière ou d’une autre à ce qui adviendra, dans la révélation subite ou par le lent apprentissage des étapes. Qu’enfin se donne l’abandon d’une modernité exempte de tout romantisme, celui qui pousse l’homme en tous ses soi-disant archaïsmes et sa complexité d’être au monde: l’homme reprend visage, et son « âme » redevient « paysage choisi ».
Revenir au fond rouge, du rouge donc où se crée et se donne toute l’apparition de la matière: le fait même d’un moment réel et de sa fondation. En cela le peintre enfonce, donne, concrétise la chose que la superficialité contemporaine néglige. Bien sûr il y a le point d’appui d’une tradition picturale assumée, l’appartenance revendiquée à une génération qui a voulu redonner existence à la peinture. N’empêche, c’est toujours dans la solitude environnée du monde, de son sens, de son non-sens, de ce qui s’y imposera volontairement, comptant, se bagarrant, comptant aussi avec ce que la peinture impose imprévisiblement. Et chaque toile, chaque dessin, d’Yves Gobart évoque cette solitude de l’être qui se traîne ou s’entraîne dans l’apparition jubilatoire ou désenchantée du monde. Et que nous arrive-t-il à nous? Qu’en est il une fois entré dans ce lieu d’exposition où tout cela se donne, d’en avoir parcouru le lieu, qu’en est-il une fois sorti de sa mise en scène. Il faudrait pouvoir résister aux descriptions entravées de trop d’interprétions, mais comment ne pas voir: toute la matière enfin exposée, simple à l’éloignement, complexe au rapprochement, à la fois fluide et transparente, convulsive et barbouillée, jouissante et suppliciée, obscure et lumineuse, précipitant à leur perte toutes lignes qui figeraient l’impossible du réel toujours changeant, quand le réel se perdrait, et perdrait avec lui tout son sens, s’il gagnait trop en ordre, disposition, agencement, netteté.
Rivières où tout prend de l’écoulement, parfois lentes et prégnantes, presque lacs, parfois surprenantes dans leur rapidité. Végétation luxuriante ou pauvre, où tout se fait lien entre sol et cime parcourue de souffles, ombres, lumières et reflets, arbres plantés parfois jusqu’à même l’écoulement, ou quelques fois, par delà l’écoulement, ces plantes fragiles et balancées dans l’obscurité et la stagnation des bords de rives. Reliement, comme il en irait de ces nuages qui donnent tout en évaporation, et tout simplement plaqués sur des morceaux de bois, l’étrangeté qu’ils ont à sortir du sol en créant leurs formes folles et changeantes, rattachés toujours à la terre dont ils émanent. Mouvement/fixité, élévation/profondeur, gouffre/reflet: oxymores, contradictions supposées, supportées, parfois portées jusqu’au flou, comme deviennent floues les limites et les rapports entre la proximité et le lointain où tout se met à s’enfoncer, se briser ou glisser: c’est ainsi dire, non pas l’analogie entre deux réalités sensibles ou concrètes, mais l’approfondissement et la prolongation du sensible dans le visible, et du visible dans le sensible, afin d’entrer dans l’immanence complexe d’une perspective singulière. Yves Gobart lui, continue, sans renonce, d’approcher ce qu’il nous donne d’une vision, la sienne, tout empreinte de l’entremêlement de lui-même à ce qui se montre à lui, et poursuit, dans toute la folle mesure de la sincérité, ce qu’il nous offre à voir. Cela ne se livre pas si directement, si évidemment, et il faut nous y abandonner.
Laurent Bouckenooghe – Extraits catalogue « Tout va disparaître »