Adrien Belgrand – Reflets

Du 05 décembre 2015 au 13 février 2016

Vernissage le samedi 05 décembre

 

Il dit: « j’essaie de mettre le plus d’informations possible. » On s’approche de Nage: fascination du détail perdu dans les plis de l’eau, sentiment d’infinité.
Les reflets blancs, ailes d’ange géantes, contiennent les lignes de fond de la piscine, le plafond de celle-ci peut-être, d’autres éléments d’architecture anamorphosés. Idem dans Horizon, où l’on compterait les branches des arbustes ou les plaques de neige sur la montagne. On peut regarder les toiles d’Adrien Belgrand sans jamais les épuiser tant elles sont en effet informées, c’est-à-dire emplies de formes, emplies d’un regard à l’œuvre, caché sous une apparence d’objectivité.

Car rien de moins neutre que le « réalisme » auquel on pourrait ranger le plasticien de 33 ans qui, pour sa deuxième exposition personnelle à la Galerie ALB, propose quatorze toiles récentes sur le thème des « reflets ».

Depuis ses débuts en peinture, en 2006, Belgrand travaille par séries, à partir de clichés qu’il prend et retouche numériquement. Double travail d’interprétation: d’abord la composition photographique de l’image, sa mise en scène, qui se nourrit intellectuellement d’une connaissance historique – on reconnaîtra sans peine des hommages à Millais, Manet ou Vermeer –, puis le passage sensuel à la peinture, au terme d’une longue maturation. Il y a alors « cristallisation de l’image » dit l’artiste: il « pousse certains éléments de la toile », informe et déforme en s’attelant à la texture, au velouté de la touche. Le résultat est délicat, c’est-à-dire minutieux et léger à la fois. Tout est là dans les compositions de Belgrand, rien ne manque, pas de mélancolie comme chez le premier Hockney, dont il se réclame: plénitude. Aucun hors-champ, le monde est clos. De chaque côté d’Horizon se reproduiront les mêmes flaques, les mêmes parkings, la brume accrochée aux rochers. Pas de narration, pas d’avant ni d’après, car même si l’image saisit un instant (l’explosion d’une fusée d’artifice, un plongeon), la temporalité ici est celle de l’itération: ce à quoi nous assistons s’est déjà produit et se produira encore, se suffisant à soi-même comme le sommeil à la dormeuse de Désordre. Peut-être la figure de Nage est-elle également endormie: à la différence de l’Ophélie de Millais, elle a les yeux fermés. On ne trouve d’ailleurs pas de personnage, chez Belgrand, qui ne détourne le regard ou carrément ne nous tourne le dos, plongé dans la lecture d’un téléphone ou d’un livre, le lavage d’une assiette, ce qui fait souvent de ses tableaux une sorte de « scène » freudienne onirique.

On pense à l’éternel retour, et au début du Gai savoir de Nietzsche: « Ah! Ces Grecs comme ils savaient vivre. Cela demande la résolution de rester bravement à la surface, de s’en tenir à la draperie, à l’épiderme, d’adorer l’apparence et de croire à la forme, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence. Les Grecs étaient superficiels… par profondeur. » S’il n’y a aucun mystère dans le quotidien dont l’artiste rend compte (on ne se demande jamais ce que font les personnages), il y en a sans doute un dans le regard qu’il pose sur cette banalité contemporaine. Les « reflets » de l’exposition, note Belgrand, sont une figure de la spécularité, d’un arrêt de l’œil par sa propre image, d’une vitre séparant le sujet de sa propre compréhension. C’est aussi le masque (celui de son modèle attitré, Arin, dans Nage) en tant qu’il oppose une résistance, une réflexivité, à l’envisagement. Ce qu’on voit ainsi dans les tableaux d’Adrien Belgrand, plus que des paysages, personnages, lieux symboliques (bassins, chambres), c’est une attention à la vibration du monde, une intensité particulière dans son appropriation, la mise en couleurs et en pâte d’un rapport, d’une façon d’habiter. L’intimité est dans la peau, le geste: la surface oppose son unité, le désir ne peut pas tout pénétrer, mais il essaie. À ce titre, Belgrand est le peintre de la douceur, ajoutant les unes aux autres des couches transparentes d’acryliques comme une caresse sur une caresse, couvrant le monde pour mieux le dénuder.

Éric Loret, décembre 2015
Journaliste et critique d’art à France Culture, Libération, Art press

 

Adrien Belgrand

Communiqué de Presse